15 janvier 2017

S'ouvrir à la nouveauté. En marche vers le Chapitre Général


Jean-Glory Mukwama, a.a.
La célébration du 33ème chapitre général sera un événement marquant pour notre Congrégation. Elle exige la mobilisation de tous. «À vin nouveau, outres neuves. Pour que le Christ parle aux hommes et aux femmes de ce temps», tel est le thème de ce grand rendez-vous. Pourquoi un pareil thème? À quoi nous renvoie-t-il?


En effet, depuis la publication de la lettre d’indiction du Supérieur général, ce thème a suscité bien des réflexions. Je m’attache à faire une approche exégétique de ce verset dans le troisième évangile afin d’en dégager le sens théologique.


Ce thème invite chaque religieux à vivre un renouveau spirituel et une vraie conversion. Ce chapitre peut être un Kairos qui ouvre à un aggiornamento significatif : la réforme de ses structures, une nouvelle politique de formation par la création des communautés internationales de formation et la révision de la Ratio Institutionis. L’Assomption bouge! Mais encore faut-il le reconnaître, s’ouvrir à cette nouveauté comme appel à nous convertir et à nous ancrer dans une fidélité plus grande et une foi toujours plus inventive. 


S’ouvrir à la nouveauté pour se convertir Notre Règle de Vie affirme que «le Christ est au centre de notre vie» (RV. 2). La commission préparatoire du chapitre n’a pas hésité à y puiser la sève qui orientera les travaux du chapitre. Ce thème présent dans les synoptiques est placé, chez Luc, dans la section consacrée au ministère de Jésus en Galilée, après l’appel de ses disciples. 


Alors que Jésus procède à l’appel de ceux-ci, le récit le présente à table avec les pécheurs chez le publicain Lévi, montrant ainsi une opposition entre la tradition des pharisiens et le nouvel enseignement de Jésus. Jésus n’a pas encore eu le temps de former ses nouveaux disciples, les voilà confrontés aux pharisiens. Le texte dit : «Les pharisiens et les scribes murmuraient et disaient à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs?» (Lc. 5, 30). 


Le problème n’est pas celui du manger et du boire, comme l’affirment les pharisiens, mais celui de le faire «avec» des publicains et des pécheurs. La préposition «avec», employée 154 fois dans le Nouveau Testament est rendue en grec par μετα, c’est-à-dire au milieu de, parmi. Cet élément est déterminant pour saisir la pointe de la critique pharisienne. Un des actes majeurs de Jésus dans l’Évangile est qu’il prend son repas avec les pécheurs et accomplit par là un geste de communion avec eux. 


Dans la mentalité juive, prendre son repas avec quelqu’un, c’est partager non seulement le pain mais aussi la communion de cœur, c’est une expression d’amitié, de fraternité, d’unité. Dans notre démarche capitulaire, Dieu nous convie à un acte de communion partagée, à risquer ce partage du vin nouveau du Royaume avec les hommes et les femmes de notre temps sans parti pris. En nous rendant «miséricordieux comme le Père» s’opère en nous une conversion nous sensibilisant à toutes les injustices, aux faims et aux soifs des hommes et des femmes de notre temps. 


L’attitude des pharisiens nous concerne aussi. Luc souligne leur résistance à la nouveauté du Christ. Cette résistance illustre chez Luc la difficulté de la jeune communauté chrétienne à faire coïncider ses nouvelles pratiques religieuses avec les pratiques traditionnelles juives. En effet, les amateurs de vieux vins disaient le vieux est meilleur. De plus, la nouveauté a toujours entrainé une double réaction : l’attirance ou le rejet. 


Dans ce récit, le nouveau suscite l’hostilité des pharisiens qui s’obstinent et reculent devant l’inconnu, le risque à prendre, l’inattendu. Cette attitude sera stigmatisée par Jésus à travers ces trois métaphores : des noces, du vêtement et du vin et des outres. La nouveauté appelle à la fidélité à nos origines et à une foi inventive La troisième métaphore, Jésus la puise dans la sagesse juive. 


En effet, chez les juifs on avait l’habitude, en fin d’année, de transvaser l’ancien vin conservé dans des jarres afin de le bonifier et il fallait mettre le vin nouveau dans des outres neuves, en se gardant bien d’utiliser les anciennes. Le vin, yayin en hébreu et *oinon(z)* en grec, comporte un élément de la langue néo-sumérienne qui signifie vie.                                                                                

Dans le Nouveau Testament, ce vocable traduit aussi la joie, l’alliance et même le royaume à venir. Jésus l’utilise pour désigner la nouvelle Alliance qu’il instaure. Comme le Christ est déroutant dans ses élans! Comme ce récit qui succède à celui de la pêche miraculeuse retourne la vie des pécheurs de Galilée! Ces derniers prendront une nouvelle direction, tenteront l’aventure (du latin advenire : avenir, imprévu) qui les placera devant l’inconnu : «sur ton ordre je jetterai les filets ( ) laissant tout, ils le suivirent» (Lc. 5, 5.11). 


Notre chapitre nous place devant une perspective semblable. Notre fidélité au Christ nous conduira à des inattendus, aux imprévus de Dieu. Serons-nous prêts à les reconnaître, les accueillir et à les intégrer à notre vie? Le vin est aussi le fruit de la vigne, oui un accusatif masculin bien singulier pour souligner la nouveauté toute singulière du Christ, mais aussi le caractère unique de son message et de sa personne. 


Le Christ dit ailleurs qu’il est la vigne et nous les sarments (Cf. Jn. 15, 5). Le vin qu’est le Christ lui-même, se donne à nous comme un breuvage. Les outres quant à elles, sont à l’accusatif masculin pluriel. Elles désignent la multitude de ceux qui acceptent d’entrer dans le pressoir du Christ afin de recueillir le vin du Royaume. Le vin nouveau doit être mis dans les outres neuves (as kouz kainoύz).


Ce trait insiste fortement sur la mise en œuvre de la doctrine nouvelle. Elle doit être portée par des hommes nouveaux, non pas par des esprits imbus de préjugés anciens. Cet appel à la conversion, à un changement de regard sur le monde doit imprégner notre apostolat, nos cœurs et nos paroles. Comme dit la prière composée pour ce chapitre, nous serons artisans de paix, hommes de communion, compagnons d’humanité, serviteurs de nos frères et témoins de la Bonne Nouvelle si nous devenons ces outres neuves pour le vin nouveau. 


Il ne s’agit pas d’une révolution mais d’un renouveau. La révolution abolit. Le Christ n’est pas venu abolir mais accomplir la loi (Cf. Mt. 5, 17). La révolution détruit, la conversion nous aide à «regarder notre passé avec gratitude, vivre notre présent avec passion et embrasser notre avenir avec espérance». «Je suis venu faire toutes choses nouvelles», dit Jésus (Ap. 21, 5). A sa suite, faisons preuve d’inventivité apostolique, capable de susciter les options courageuses, attentives aux signes de notre temps pour l’avènement du Royaume en nous et autour de nous.



Jean-Glory MUKWAMA LUWALA, a.a.


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